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LUNDI 7 AOUT JIAYUGUAN / DUNHUANG
Au réveil, nous découvrons des paysages arides, beiges et rocailleux, puis, en étages successifs, des collines ocre, puis derrière, des montagnes roses où saccrochent des nuages blancs, et au loin, une haute chaîne dont les sommets enneigés brillent au soleil. Le soleil se lève, léclairage rasant accentue les formes et les couleurs, cest superbe. Une carriole tirée par un âne passe et sen va vers les montagnes roses. Pas un village alentours. Doù vient-elle, où va-t-elle ? Mystère. Le sol verdit par endroits et se couvre de touffes dherbes épineuses. Nous faisons un arrêt en pleine nature. La radio du train diffuse un intermède comique, ponctué des habituels rires enregistrés pour loccasion. Des oasis, larges espaces verdoyants, apparaissent dans le paysage terreux, vite perdues de vue. Des ouvriers travaillent déjà le long de la voie ferrée, qui est la grande liaison de Lanzhou à Urumsqi. Nous apercevons le massif du Qilian Shan et son mont Qilian, qui culmine à 5.547 mètres. À ses pieds, les flancs des premières montagnes sont ravinés de grandes zébrures rouges. Au Nord, nous avons la Mongolie intérieure, province autonome chinoise, et la Mongolie russe, au Sud, les contreforts du massif du Tibet. Arrêt à Jiuquang où le contrôleur nous fait signe de descendre et nous passe nos valises par la fenêtre. Mais Christian a un doute car larrêt paraît très peu fréquenté. Il montre au cheminot notre viatique, le périple défini à Paris par Voyageurs du Monde et écrit en chinois. Bien nous en prend : si nos billets portent bien (par erreur) la destination de Jiuquang, cest à Jaiyugan (ne pas confondre) que nous devons descendre. Nous remontons dare-dare dans le train, nos valises aussi, tandis que le contrôleur sesclaffe, et que je bénis la présence desprit de Christian, car quaurions-nous fait, laissés en plan dans une station perdue dans le désert ? Nous voici enfin à Jaiyugan, doù nous devons gagner en voiture Dunhuang. Personne pour nous attendre sur le quai. Nous empoignons nos valises et gagnons la sortie. Un jeune Chinois prend obligeamment ma valise pour la porter dans la descente des escaliers. Et Christian, qui lui, se coltine la sienne, de me sortir, un tantinet jaloux : - " Tu fais comme ta mère lorsquelle voyage avec son énorme valise et quelle nous dit " Je trouverai bien un couillon pour me la porter " ! Je repère la pancarte " MARTEL " brandie haut au-dessus de la tête par un jeune intellectuel à lunettes. Aie, aie, aie ! Il réussit péniblement à nous dire quil napprend le français que depuis un an, et quil ne parle pas anglais. Il nous présente cérémonieusement le chauffeur " Monsieur le chauffeur ". Dans la voiture, il a déjà répété trois fois en un quart dheure, en articulant laborieusement : " Pardon Monsieur, Madame, je ne parle pas bien français, je ai dictionnaire ". Nous rions sous cape. La voiture est bien suspendue, le ciel est bleu, la température idyllique de 25°. Nous roulons en longeant le désert de Gobi, sur une belle route bordée, sur chaque côté, dune rangée de saules pleureurs. Lirrigation vient des montagnes toutes proches. Nous faisons une première étape pour visiter les fresques de la galerie Wei. Ce sont des tombes peu enterrées reprenant la symbolique du plan dune maison dans lequel le défunt doit se sentir ... comme chez lui. Salle à manger, puis chambre où le mort est inhumé. Dans chacune de ces petites pièces au plafond très bas, des fresques agrémentent les murs de briques. Cest magnifique. Les dessins sont cernés dun épais trait de pinceau noir. Des chevaux, des cavaliers, des danseurs et des musiciens, des femmes aux grosses coques de cheveux noirs et aux robes dapparat superposées dans un ordre savant, sont là pour tenir compagnie au défunt. Par contre, ce qui métonne, cest que nous ne voyons que des scènes domestiques, aucune image religieuse. Je remarque sur lun des murs une barque. Voulant être sociable avec notre guide, je lui montre le dessin et lui dis - " Bateau, leau, la mer. " - " Oui, oui, guitare " - me répond-il avec un sourire fendu jusquaux oreilles. Désespérant ! Au moment où nous remontons dans la voiture, le téléphone sonne. Cest le chef de notre guide débutant qui veut vérifier que celui-ci nous a bien réceptionnés. Preuve quil ne doit pas être très sûr de sa fiabilité ! Et notre cicérone, alors de rajouter - " Soyez les bienvenus sur la route de la soie " - Mieux vaut tard que jamais ! Nous avons un mal fou à comprendre ce quil essaie de nous dire, et entendons, par bribes - " Paris, Arc de Triomphe, Champs Elysées ", et linévitable " Jaime le foot " et " Aimé Jaquet " (par contre, notre Zizou national nest pas cité). Nous retournons à Jaiyugan pour y déjeuner, dans un restaurant du CITS situé au-dessus de lagence de voyage. Notre repas est déjà commandé, et nous nous attablons, le chauffeur et le guide sinstallant à une autre table. Nous renonçons à leur proposer de partager notre table : trop difficile de se faire comprendre ! La salle est très chinoise, cest-à-dire tristounette et froide, les serviettes de table en tissu sont douteuses, heureusement nous avons également des serviettes en papier. Soupe de nouilles et tomates, tofu et épinards, poulet plein desquilles que nous recrachons discrètement, tout cela fort bon. Deuxième étape pour admirer des vestiges de la Grande Muraille, datant de 1506, et le fort de Jaiyugan, forteresse de terre et de briques reconstruite comme à lancienne. Mais je reconnais que lendroit ne manque pas dallure, les hauts murs ocre surplombant le désert. On sattendrait à voir débouler des cavaliers tartares. Puis nous reprenons la route vers Dunhuang. Notre simplet, qui veut bien faire, fait des efforts épuisants (pour lui comme pour nous) pour converser avec nous. Cest difficile, car il prononce tout de travers : " la vèle " par exemple, et bien cest " la ville ". Il finit par y renoncer, nous suggérant de nous reposer en regardant le désert. Ouf ! Le paysage est sans fin, un peu ingrat car monotone, sans les hautes montagnes qui ont disparu de notre horizon. Nous sommes tirés de notre torpeur par une sonnerie étouffée. Nous lorgnons vers notre guide, mais celui-ci ne réagit pas et pourtant le bruit persiste. Nous finissons par réaliser que cest la sonnerie de notre réveil, lui-même placé dans notre valise à larrière de la voiture, qui sest déclenchée ! Elle finira bien par se couper. Nous papotons tous les deux, Christian me donnant des cours de philosophie : - " Le sage montre la lune, et limbécile ne voit que le doigt ". Subtile, non ? Notre guide reprend la conversation avec nous, et ma douce moitié sévertue à faire de lhumour avec lui. Comment voulez-vous que celui-ci comprenne quen France nous ayons la Nationale 312, alors que nous navons pas trois cent douze nationales ? Et bien, il rit pourtant aux éclats ! Par instants, il se plonge dans son dictionnaire. " Attention, me glisse Christian à loreille, il nous prépare une phrase ". La route, toujours aussi rectiligne, traverse des oasis plantées de tournesols, de blé, de peupliers, puis cest à nouveau la rocaille ou le sable. Nous doublons une dizaine de cyclotouristes chinois, les vélos chargés du barda commun à tous les routards. La route est déjà monotone en voiture, mais alors en vélo ! Et sy ajoutent un soleil de plomb et un vent de face. Chouettes vacances. Nous quittons la route de Turfan et roulons vers le Sud, traversant une oasis de cultures et de petites bourgades. À nouveau les saules pleureurs, les jardins maraîchers, puis Anshi, ville plus importante, avec grandes avenues et chemins pour les vélos. Nous faisons une pause sous lombre dun arbre, afin que Christian délasse sa jambe. Christian et le chauffeur sentendent très bien et ont tous les deux besoin dun arrêt régulier : le premier, pour marcher un peu, le second, pour fumer une cigarette. Nous nous dirigeons vers une chaîne de collines bosselées et rocailleuses, successions de cônes de gravillons. Sur nos côtés, se profilent les derniers tronçons de la Grande Muraille, prolongée par les Ming. Nous arrivons à lhôtel Dunhuang vers huit heures moins le quart. Il nest pas très beau, mais confortable, nous sommes au cinquième étage et avons la climatisation. Nous posons nos valises et téléphonons à Arnaud, que nous joignons sur son portable, dans la voiture, car Cécile et lui reviennent du Futuroscope : tout va bien. Tranquillisés sur le sort de nos familles, nous sortons dîner. Dans le hall, nous tombons sur un groupe de Français : cent trente-sept personnes réparties dans cinq bus ! Ils font " La foulée de la Soie ", périple qui combine, sur la route de la soie (of course), les visites touristiques et, à intervalles réguliers, des parcours de cross. Chapeau ! Nous dînons dans la rue de brochettes grillées sur brasero et accompagnées dun pain rond (qui calme le feu des épices) et dune bière. Puis nous flânons, et finissons la soirée affalés dans des transats, à regarder la foule qui se promène paresseusement à la fraîche. Une serveuse style geisha, maquillage olé olé et robe chinoise moulante, vient encaisser le prix des bières quelle nous a servies une fois installés dans nos sièges. Hors de prix ! Vingt yuans ! Christian renâcle et lui laisse dix yuans, ce qui est déjà bien payé. La prochaine fois, négocier les prix avant de sasseoir !
MARDI 8 AOUT DUNHUANG
Petit-déjeuner à sept heures vingt et départ à huit heures quinze. Et que ça saute ! Nous visitons aujourdhui les grottes de Mogao. Simplet nous propose de nous arrêter sur le chemin pour voir une fabrique de tapis. Non ! Ce sera Mogao le matin, et Mogao laprès-midi. Nous roulons à travers un désert ponctué de stèles. Christian : - " Ce sont des tombes " - Lui : - " Cest un cimetière " ! - Lhorizon est fermé par de grandes dunes de sable, et, derrière, se profilent de hautes montagnes aux pics enneigés. Ajouter à cela un ciel bleu, cest magnifique. Nous sommes pris en charge, ainsi quune dizaine de Français du troisième âge, par un guide remarquable dérudition et de clarté, sexprimant dans un français parfait. Nos compagnons arrivent de Lahore et sont passés par le Karakorum. La route étant bloquée par un éboulement, il leur a fallu reprendre un deuxième car de lautre côté du passage, franchissant la pierraille à pieds, chargés des bagages que les rares porteurs quils ont pu trouver dans ce lieu navaient pu prendre. Et parmi eux se trouvent une femme âgée qui marche difficilement, et un homme qui saide dune canne. Les grottes de Mogao ont été creusées dans des falaises du désert, et quatre cent quatre-vingt-douze grottes sont encore visibles, protégées des intempéries par des murs de pierres et des portes scellées qui ne sont pas du plus heureux effet. Elles constituent un sanctuaire bouddhique dont les réalisations, statues et fresques, se sont étalées du IVe au XIVe siècle et ont été préservées des ravages de la Révolution Culturelle par léloignement de Dunhuang, perdu dans le désert. Les Tuoba, turcophones peuplant les territoires au nord des frontières, envahirent et conquirent la Chine au IVe siècle. Les bouleversements suscités par cette invasion jouèrent en faveur de léclosion des doctrines bouddhiques dans un pays déjà marqué par le déclin du confucianisme, lui-même provoqué par la chute des Han. Toutes les catégories sociales ont contribué, au cours des siècles, au financement de ces grottes, car Dunhuang connaissait, avec la route de la soie, une grande prospérité. Dune grotte à lautre, on peut repérer les influences religieuses venues de lInde (dans les gracieuses courbes des bouddhas et des bodhisattvas), larrivée dAlexandre le Grand (dans les drapés à lantique des costumes), celle de Marco Polo, dans les signes du Zodiaque figurant sur les murs, le taoïsme et ses dragons, le bouddhisme et son Grand et Petit Véhicule, sans oublier les vides laissés par le passage de Paul Peliot, resté ici trois mois avant de rentrer en France chargé de son butin archéologique ! Nous aurons dailleurs le plaisir de retrouver au musée Guimet des tapisseries, des manuscrits et des statues rapportées par ce " voleur savant " (dixit notre guide). Bref, cest un sanctuaire à voir et revoir, autant pour lintérêt de ses fresques que pour la beauté de ses statues ou la monumentalité de ses Bouddhas assis, dont le plus grand atteint trente-six mètres de haut (et il est assis !). Sur la route qui nous ramène à lhôtel pour le repas de midi, nous revoyons nos cyclistes fous qui peinent sous la chaleur (40°). Nous déjeunons tous les deux seuls à une table tournante conçue pour dix personnes, devant pas moins de quatorze (petits) plats différents. Puis retour aux grottes, en extra, car notre programme ne prévoyait pas un deuxième ticket dentrée ! À dix-sept heures trente, nos deux Pieds Nickelés nous emmènent au lac du Croissant de lune, dans les montagnes des " Sables qui chantent ", à la lisière de loasis et du désert. Cest complètement tartouille, mais comment le faire comprendre à notre guide ? Des sources forment un petit étang en forme de croissant de lune (CQFD), dans une dépression cernée par dimmenses dunes de sable. Cest Dysneyland à la chinoise dans le désert. Des chameaux à foison transportent au petit trot leurs cargaisons de touristes béats, des luges glissent depuis le sommet des dunes, des parapentes permettent de sélancer du haut des dunes où lon accède par des marches de bois plaquées sur leurs flancs, des parachutes ascensionnels sont tractés par des engins à roues, des petits trains promènent ceux qui ne veulent pas marcher dans le sable (ils ont raison, moi qui ai horreur du sable, jen ai plein mes chaussures). Ca baratte, ça meugle, ça crotte, cest infernal. Et notre guide est très étonné quon veuille rentrer au bout dune demi-heure, car, dit-il, les touristes chinois y passent au moins deux à trois heures. Grand bien leur fasse ! Nous partons au parking récupérer notre voiture. Elle est bloquée par un car dont le chauffeur est absent, et, de lautre côté, par une Pajero dont le conducteur astique la carrosserie. Notre chauffeur regarde tout ceci dun air navré, et attend. Cest nous qui finissons par réagir et par demander, par gestes et avec une insistance souriante, au propriétaire de la Pajero de se déplacer pour nous laisser le champ libre. Ce quil fait sans moufter. À la demande de Christian, nous passons devant le Silk Road Dunhuang Hôtel, luxueux hôtel de cinq étoiles construit en face des dunes. Vue garantie sur les dunes certes, mais isolement assuré sans possibilité de se balader en ville à la fraîche pour une promenade digestive. Je lave mes pieds sableux à lhôtel, change de chaussures, et nous partons dîner au même restaurant en plein air quhier. Le cuistot et la serveuse nous reconnaissent, et puisque nous sommes des habitués, nous demandons que les petits pains qui accompagnent les brochettes soient également grillés au barbecue. Cest si bon que nous en recommandons une tournée, le cuistot nous offrant gratis le deuxième petit pain. Nous finissons bien sûr la soirée dans nos transats, mais avons pris soin de négocier le prix de nos bières avant de nous y installer : cinq yuans, au lieu des vingt demandés et des dix payés ! Nous regardons les gens passer, cul-de-jatte et ses fers à repasser, mimiles chinois en gilets de peau largement échancrés ou carrément torse nu, nénettes un peu " putes ", hauts talons compensés, short mini et maquillage qui flashe.
MERCREDI 9 AOUT DUNHUANG / LIU YUAN / TURFAN
Matinée tranquille car nous devons libérer la chambre à midi. Douche, Christian se rase, nous faisons nos valises. Le beurre rance du petit-déjeuner ne passe pas. Bienheureux médicaments, lArestal, lErcefuryl et le Motilium nous remettent daplomb. Les valises vont nous attendre dans la voiture, et nous déjeunons au restaurant de lhôtel, encombrés de nos sacs à dos contenant la pharmacie et les pellicules photos, qui ne supporteraient pas une longue station dans une voiture surchauffée. Le repas est toujours aussi copieux et toujours aussi bon. Et cest la route, après une halte rapide au musée de Dunhuang, guère intéressant. Après la traversée de loasis de Dunhuang, nous entrons dans une zone caillouteuse parsemée dépineux que broutent des troupeaux de chameaux. Le sable a, par endroits, envahi la chaussée et une escouade dhommes et de femmes, masque de gaze blanche sur le visage, cinglés par le vent et le sable, travaillent à la désensabler. Les épineux ont disparu, le désert de gravillons est zébré de nombreuses traces de sel qui scintillent au soleil. Christian hésite à demander une pause détente, tant la chaleur au-dehors nous paraît accablante. Nous parvenons vers seize heures à la petite bourgade où se trouve la gare doù nous partirons pour Turfan. Nous voilà installés au deuxième étage, dans la salle dattente des couchettes molles, nos compagnons restant au rez-de-chaussée pour garder nos valises, sur des sièges de coque de plastique inconfortables et dans une chaleur épouvantable. Nous disposons de la climatisation, de larges sièges et divans de bois laqué brun sombre, de tables basses itou ... et dune sono tonitruante ! Le train arrive, et lon nous fait emprunter une entrée spéciale pour VIP, qui évite de faire la queue. Mais comme nos Pieds Nickelés, et nos valises, ont pris lentrée " peuple " plus encombrée, nous les attendons sur le quai, leur disons " au revoir et merci " et leur donnons le pourboire dusage. Après tout, ils nétaient pas très performants, mais pleins de bonne volonté. Nous partageons notre compartiment avec un couple dItaliens de notre âge, le reste de leur petit groupe disposant du compartiment voisin. Ils sont très " classe " et parlent un français parfait. Cest la première fois quils prennent le train en Chine, et forts de notre expérience récente, nous les rassurons sur la propreté des lieux, et leur montrons la petite marche qui permet daccéder à la soute à bagages placée au-dessus de la porte. Déception, il ny a pas de wagon-restaurant ! Heureusement, prévoyants comme toujours, nous nous sommes munis de gâteaux secs et dune bouteille deau. Nos Italiens vont également à Turfan, puis à Kashgar et finissent par le Pakistan. Ils sont venus de Lanzhou en avion, quils attendaient le matin ... et qui nest arrivé que le soir ! Merci à Monsieur Chen, de Voyageurs du Monde à Paris, qui nous avait conseillé de prendre le train plutôt que lavion, trop aléatoire sur cette ligne. Nous regardons le coucher de soleil rosir les collines, saluons le groupe dAllemands que nous retrouvons dans le train, puis prenons à tour de rôle le compartiment pour nous mettre en pyjama. Nous nous souhaitons mutuellement une bonne nuit, lItalien sexcusant par avance, car, dit-il, il ronfle. Pas de problème, nous aussi.
JEUDI 10 AOUT TURFAN
Nuit moyenne, entrecoupée de nombreux arrêts et de passages de Chinois bruyants dans le couloir. Six heures trente. Après des au revoir chaleureux à nos amis, nous sortons de la gare. Une jeune fille au visage encadré de deux grosses nattes nous demande en anglais doù nous venons. De France. Et notre nom ? MARTEL. Elle sort un papier de sa sacoche, vérifie que notre nom y figure bien, oui cest cela, cest bien nous quelle attend, et elle nous fait alors un grand sourire. Une Toyota 4/4 nous attend, et nous faisons connaissance pendant les soixante kilomètres de route superbe qui nous séparent de Turfan, tandis que la nuit se dissipe. Notre chauffeur est Han, notre guide est une Kazakhe musulmane, et tous deux habitent Urumsqi. Il y a dans cette région treize minorités, toutes musulmanes, chacune ayant sa propre langue, mais le chinois est connu de tous. Les minorités les plus importantes sont représentées par les Ouighours et les Kazakhs, viennent ensuite les Kirghiz, les Ouzbeks et les Tadjiks. Bien sûr, les chinois Han sont présents, car le régime communiste a toujours essayé denvoyer, dans ces territoires, des colons Han. Inutile de dire que les relations, notamment entre Ouighours et Han, ne sont pas très bonnes Un mouvement séparatiste a dailleurs vu le jour, à lorigine de troubles qui ont été sévèrement réprimés. Coexistent néanmoins écoles chinoises et écoles des minorités, où les élèves apprennent cependant un peu le chinois. Par contre, il leur faudra faire deux années préparatoires supplémentaires pour apprendre langlais, sils veulent intégrer luniversité. Il y a encore peu de temps, les mariages entre Han et minorités étaient interdits. Aujourdhui, ils sont tolérés mais très mal vus par les familles, qui, par contre, nont rien contre des unions entre minorités différentes, puisque toutes sont de religion musulmane. Une oasis se dessine à lhorizon, et nous commençons à voir les fameux séchoirs à raisin, petits silos rectangulaires de pisé ocre, aux briques montées en quinconce afin de permettre une évaporation maxima, et dobtenir ces grains de raisins secs qui font la renommée de la contrée. Nous voici à Turfan. Nous empruntons une rue ombragée de tonnelles de vignes, et arrivons à lhôtel Oasis, un peu désuet, mais heureusement climatisé (il fait déjà 40° !). Petite déception, nous ne pourrons prendre possession de notre chambre quà midi, et devrons attendre jusque-là pour goûter au plaisir dune bonne douche. Nous sommes en demi-pension et prendrons notre lunch ici, ce qui nest pas plus mal, car la climatisation et une bonne petite sieste ensuite nous permettront de résister à la chaleur infernale : on prévoit 42° à lombre aux heures les plus chaudes de la journée ! Il faut dire que Turfan est le point le plus bas de la Chine (et le deuxième du monde après la mer Morte), situé 154 mètres en dessous du niveau de la mer, et que les étés y sont caniculaires, la température pouvant atteindre, heureusement rarement, les 50°. Dans la salle du petit-déjeuner, nous retrouvons nos Allemands, nos Italiens, et nos deux Françaises. Le petit-déjeuner est parfait, comme nous laimons : ufs au plat, petites pommes de terre soufflées délicieuses, jus dorange frais, et est le bienvenu après notre régime dhier soir. Aux toilettes, je papote avec lune des Allemandes. Elle me croyait italienne parce que je partageais le compartiment de deux Italiens, et commence à me parler en italien. Je la détrompe : - " French ", et la voilà qui continue la conversation en français. Une vraie polyglotte. Ils sont, eux aussi, partis de Pékin pour Lanzhou, Dunhuang, Turfan, iront à Kashgar et de là senvoleront pour Hong Kong puis pour Bali où ils se reposeront quatre jours. À neuf heures, nous rejoignons notre guide dans le hall, après avoir laissé nos bagages à la consigne de lhôtel. Christian y a aussi stocké sa grande coque de plastique, vraiment trop inconfortable par cette chaleur. Notre cicérone nous réconcilie avec les jeunes femmes guides musulmanes. Elle est non seulement jolie, mais douce et pleine de bonne volonté, parle un anglais impeccable, en articulant bien (à ma demande), et ne renâcle pas devant les quelques petits changements de programme que nous négocions avec elle. Elle est professeur danglais pendant lannée, et arrondit ses fins de mois en travaillant comme guide lété. Elle est célibataire, " un oiseau libre " nous dit-elle, et son nom signifie " lumière de la fleur ". Elle parle quatre langues, le chinois, langlais, le ouighour et le kazakh. Très gentiment, elle prendra place avec moi à larrière et fera monter Christian devant afin quil puisse étendre sa jambe. Le chauffeur, quant à lui, a lair dêtre une tête de lard. Lair est comme poudreux, une sorte de brouillard lourd, obscurci par le sable en suspension que charrie un vent violent. Nous devinons sur notre gauche, très près, la silhouette haute des montagnes noyées dans la brume. À quarante-six kilomètres à lest de Turfan sétendent les ruines de Gaochang, perdues en plein désert. Fondée au VIIe siècle par les Tang, elle devint ensuite capitale des Ouighours, comportait une ville extérieure et une cité administrative entourée de remparts et de douves. Il nen reste que des élévations étranges, difficilement reconnaissables, à lexception dun grand monastère dont on devine encore des couloirs et des portes. Ces murs de terre érodés émergent dun sol sablonneux, et les calèches à ânes qui transportent les touristes soulèvent des nuages de poussière. Je ris en voyant une touriste (que je suppose chinoise) se faire photographier avec son chapeau à larges bords enfoncés jusquaux yeux, des lunettes de soleil qui lui mangent la figure ... et un foulard sur le nez porté à la Zorro ! Coucou, cest moi. Nous continuons notre pèlerinage dans le passé en visitant les tombes dAtsana, proches de Gaochang. On y accède par des marches menant à la chambre mortuaire, à six mètres sous terre. Aux murs, des portraits du défunt, des fresques représentant des oiseaux. Certains des objets retrouvés ici remontent à la dynastie des Jin (IIIè-Vè siècle). La troisième tombe renferme deux momies desséchées. Lair est pesant et brûlant. Je manie mon éventail avec énergie et en fais bénéficier, par à-coups, notre charmante compagne qui me remercie dun sourire. Elle apprécie aussi les brumisations dont je la gratifie en même temps que moi, à laide de mon vaporisateur rempli deau. Elle est en admiration devant mon gris-gris sénégalais et je me promets de lui en offrir un lorsque nous la quitterons (jen avais apporté un deuxième, au cas où). Notre périple de la matinée sachève par une longue flânerie dans la Vallée des Raisins. Cest un petit paradis de vignes enserré dans le désert. Sy promener à lombre des treilles, rafraîchis par les fontaines murmurantes, est un délice. Dommage quil soit accompagné dune musique de paso-doble qui nous écorche les oreilles. Nous goûtons aux raisins secs et au vin cuit du pays. Je parviens à dissuader Christian, toujours téméraire, de prendre du raisin frais, lavé à leau du robinet, et de se laisser plutôt tenter par le melon de Han, merveilleusement désaltérant. La pause déjeuner, la douche et le repos dans notre chambre climatisée sont jouissifs. Puis nous repartons dans la chaleur infernale. Le minaret Emin, de style afghan, est flanqué dune mosquée à lintérieur très dépouillé. La tour, haute de plus de quarante mètres, est faite de briques beiges appareillées de treize manières différentes. Cela aboutit à une décoration époustouflante. Gu, car notre jeune célibataire sappelle Gu, y va de son petit speech sur lIslam, ses vertus, ses cinq obligations, ses principes, dont légalité entre les riches et les pauvres. Mais elle ne dit rien de légalité entre les hommes et les femmes, et je me garde bien de faire à ce sujet des plaisanteries fumeuses. Gu est charmante, mais elle nest pas Se Sheng ! Nous apprécions ô combien la balade suivante, à travers les karez de Turfan. Ce sont des puits disposés en divers points au nord de la ville, qui collectent leau provenant de la fonte des neiges du massif du Tianshan, culminant à sept mille mètres. Des canaux dirrigation souterrains distribuent ensuite leau à la vallée en contrebas, et à Turfan. La plupart des canaux suivent un itinéraire souterrain pour éviter lévaporation. A intervalles réguliers, des puits de contrôle apportent la lumière du jour à ce réseau, envahis par des arbres qui poussent leurs têtes hors du sol. Le système (qui remonte à deux mille ans) est astucieux et sy promener dans une fraîcheur ombreuse est une détente merveilleuse. Gu nous reconduit à lhôtel, et, avant de nous quitter, insiste pour savoir si elle ne peut pas nous être utiles. Non, non, tout ira bien - " Bien sûr, dit-elle, vous êtes comme un boy friend avec sa girl friend, vous voulez rester tous les deux seuls en amoureux ". Nous aurons par la suite loccasion de constater que notre petite amie est dun romantisme exacerbé ! Vers dix-huit heures, nous partons en repérage dun restaurant pour ce soir, à travers les rues ombragées de tonnelles que longent des canalisations deau murmurante. Leau coule en abondance dans la ville, rigoles, fontaines, arrosage des arbres, mais toujours pour une bonne cause, pas de gâchis. Une jeune mère nous double, son enfant installé dans un panier dosier accroché dans son dos, façon cacolet. Nous trouvons une terrasse à lombre agrémentée dun ventilateur, et sirotons une bière glacée, aux accents de la guitare classique dun jeune et du Concerto dAjanruez, tandis que larroseuse municipale inonde les rues pour apporter un peu de fraîcheur. Re-douche à lhôtel (heureusement que leau nest pas rationnée !), nous ressortons après neuf heures, lorsque le soleil sest couché. Mais il fait encore très chaud, et le vent est fort. Dans une rue près dune place herbeuse arrosée de jets deau, se succèdent les stands à bouffe et à bière, chacun pourvu de sa télévision bruyante. Nous négligeons les hot pot (il fait assez chaud comme cela), et regardons dun air dubitatif les brochettes crues proposées aux passants, qui ne nous paraissent pas très catholiques. Quà cela ne tienne, le cuistot court en chercher à la table voisine, où son patron est en train den confectionner des toutes fraîches. Cest daccord. Nous montrons le pot à épices et faisons non du geste, cest OK, et pour être certaine davoir des brochettes assez cuites, je fais, de la main, le geste de rester au-dessus du feu un bon moment de chaque côté. Il a tout compris. Nous trouvons une table loin des braseros (ce qui est préférable, car le vent violent rabat les braises sur les clients) et sirotons notre bière tiède en écoutant " Les feuilles mortes " que nous débite la télé. Arrivent les brochettes, mais sans pain. Là encore, nous nous expliquons par gestes. Et voilà la femme du patron qui part à vélo chercher deux galettes qui finissent quand même par arriver avant que nous ayons terminé notre plat. Je suis surprise davoir plus chaud encore au visage et aux bras que sur le reste du corps. Christian pense que nos vêtements de coton léger nous isolent du vent brûlant, puisque notre corps est à 37° alors quil fait à lextérieur plus de 40°. Cela explique pourquoi les Touaregs, dans le désert, semmitouflent dans leurs tissus.
VENDREDI 11 AOUT TURFAN / URUMQI / KASHGAR
Départ à neuf heures, et il fait déjà chaud ! Nous nous rendons aux ruines de Jiaohe. Cest une ancienne garnison fondée par les Han pour défendre les frontières. La cité a été mise à sac par Gengis Khan, et il ne reste des édifices que des silhouettes fantomatiques. Merveilleuse cité, bâtie un peu en hauteur, doù lon domine les vignes et les séchoirs à raisin, et les montagnes au loin. Le vent très violent soulève une poussière impalpable qui sinfiltre partout et noie les ruines dans une brume irréelle. Cest très beau. Gu nous raconte une histoire damour entre une belle princesse et un chef kazakh, qui, pense-t-elle nous intéressera car " les Français sont des gens romantiques " (toujours cette réputation de latin lover !). Elle est très drôle car elle accompagne ses paroles de mimiques expressives, ouvre grand les yeux pour simuler leffroi, prend un air terrible pour parler des méchants, et un air langoureux pour traduire lamour de la belle princesse. Elle nous explique quune coutume kazakhe veut que les jeunes garçons et les jeunes filles se promènent en rangs deux par deux, les filles munies dune badine. Si la jeune fille aime le garçon qui passe devant elle, elle lui caresse les épaules (Gu fait un geste plein de douceur). Si par contre le garçon lindiffère, alors vlan, dun air mauvais elle cingle le dos imaginaire de lamoureux éconduit. Elle est très jolie et shabille avec beaucoup de goût, jupe longue droite, caraco dans des teintes assorties, et des sandales ravissantes que jaimerais bien avoir ! Nous prenons la route dUrumqi, cent soixante-dix-huit kilomètres à parcourir, superbe autoroute construite il y a deux ans avec un emprunt de six ans contracté auprès de la Banque Mondiale. Le vent ne faiblit pas, bien au contraire ! Les poids lourds frémissent sous les rafales, et nous les doublons avec appréhension (notre chauffeur, plutôt pépère en temps normal, accélère dailleurs à fond dans ces instants). Un gros camion renversé encombre la moitié de la chaussée. Il est très haut et na pas résisté aux assauts du vent. Un peu plus loin, deux autres poids lourds se sont prudemment arrêtés sur le bas-côté, stationnés perpendiculairement à la route pour offrir moins de prise au vent. Encore un camion versé dans le fossé, que deux tracteurs tentent de remonter sur la chaussée. Mais il faudrait pour cela que les conducteurs parviennent à laccrocher à leurs câbles dacier, or ils narrivent pas à avancer face à la bourrasque. Cest impressionnant, et Gu qui nous dit que nous navons pas encore passé le point du trajet le plus venteux. Cela promet ! Pour nous détendre, elle met la musique à fond, et nous chantonnons en chur pour accompagner linévitable Céline Dion et la musique de Titanic. Elle nous explique quelle aime beaucoup ce disque, et quelle lécoute allongée sur son lit, au calme et à la lumière des bougies. Pendant la pause ravitaillement dessence, Christian samuse à planer, en se laissant porter, bras étendus, par le vent. Voilà quil pleuviote, et la route est mouillée. Je me drape dans mon écharpe, excellente protection contre les excès de la climatisation. Gu me dit quelle la trouve très belle (une écharpe achetée à Assouan il y a plus de quinze ans !), que dailleurs elle me trouve toujours bien habillée et très élégante (sic). Je lui explique que jaime mon mari et que si je ne fais pas deffort pour mhabiller pas trop moche, il ira voir ailleurs. Elle massure que je nai rien à craindre, et que je le tiens bien ! Dont acte. La pluie redouble. De gros éboulis de graviers noirs envahissent par moments la chaussée. Sur la gauche, très loin, une armée déoliennes envahit le paysage. Montées très haut sur pattes (on dirait de grandes sauterelles), rangées en rang doignon, elles sont terminées par trois longues pales, qui tournent à la vitesse du vent. Les premières furent construites en 1983, et lon en compte aujourdhui deux cents, véritable troupe dinsectes monstrueux surgis du désert. Le paysage sadoucit. La vallée se cerne de collines couvertes de peupliers, dominées au loin par une haute chaîne de montagnes enneigées de 5000 à 5800 mètres daltitude. Mes petits yeux se ferment, mais, heureusement, nous arrivons à Urumqi et cest lheure de la pause déjeuner, dans un restaurant du CITS comme il se doit. Nous partons avec Gu faire un tour au bazar, car nous voudrions nous renseigner sur les prix dune dutar, dont Christian a très envie, et que je prévois de lui offrir pour son anniversaire. Lendroit est très animé et regorge de boutiques proposant vases et plateaux de cuivre repoussé, chameaux de peluche brodée, poignards décorés, et une superbe dutar à mille quatre cents francs dernier prix (nous étions partis de mille huit cents). Cela nous paraît bien cher, et comme nous allons ensuite à Kashgar, spécialisée dans les instruments de musique, nous comparerons là-bas, et pourrons toujours, si les prix à Kashgar sont encore plus élevés, lacheter à Urumqi où nous repassons avant de nous envoler pour Bichkek. Gu recherche un lacet de cuir comme celui qui tient mon gri-gri, car elle possède une pierre quelle voudrait mettre en collier comme moi. Bien sûr, elle nen trouve pas ! Alors je lui remets dans la voiture en route vers laéroport mon deuxième gri-gri en cadeau, et elle rougit de bonheur. Le chauffeur met une cassette de cha-cha-cha. Gu se trémousse sur son siège. Elle adore danser et sort souvent le soir avec son ami et un autre couple pour aller danser, mais dans les bars à musique douce, éclairage feutré et slows langoureux, car elle a horreur du bruit des disco-bars et de leurs lumières violentes. Incorrigible romantique ! Nous voici à laéroport. Nous faisons nos adieux au chauffeur et lui remettons le traditionnel pourboire et six dosettes de parfum (car il a eu une conduite difficile à travers la tempête). Quant à Gu, nous lui disons au revoir. Mais oui, dit-elle, je vous réceptionne à votre retour lundi matin. Christian sursaute. Non, cest dimanche soir que nous rentrons de Kashgar ! Elle est rouge de confusion, et Christian la taquine en lui disant quelle devrait se mettre un post-in sur le front pour ne pas oublier. " Non, sur mon cur " répond-elle, toujours aussi sentimentale. Attente dans une salle encombrée qui résonne des portables en tout genre. Avion sans retard. Dîner dégueu auquel nous ne touchons pas. Larrivée à Kashgar se passe dans une cohue et un désordre indescriptibles. Un jeune homme de style pakistanais, traits fins et peau noire, se présente en anglais. Cest bien notre guide et il sappelle Idil. Il est ouighour, a fréquenté lécole ouighour et a appris langlais au collège. Le chauffeur, lui, est chinois. Ils nous conduisent à notre hôtel ... hyper glauque ! Nous sommes au troisième étage, notre fenêtre, qui sentrouvre à peine, donne sur une petite ruelle, et notre porte sur la coursive qui tourne autour du patio intérieur. Nous navons pas la climatisation, le ventilateur est asthmatique, les rideaux de plastique sont sombres et sales, et léclairage parcimonieux. Ce nest pas le pied, mais tant pis, après tout, nous ne voyageons pas pour rester dans notre chambre dhôtel. Nous décidons cependant de voir si lHôtel International, qui est juste à côté, naurait pas une chambre de libre que nous troquerions, moyennant supplément, contre notre trou à rat. Nous quittons cette chambre déprimante et surchauffée pour aller manger un morceau dans une gargote située à côté de lhôtel où un spectacle de danses locales vient de sachever. Le patron parle anglais et accepte, bien que lheure soit passée, de nous servir une bière et un plat de nouilles à la viande ... hélas si épicées que nous ny touchons pas. Obligeant, notre hôte nous apporte des pastèques, cest toujours ça. Nous passons à lHôtel International. Déception, il est fermé ! Nous aurons lexplication le lendemain par notre guide : il a été construit en joint-venture avec les Pakistanais, a fonctionné un an, puis a été fermé pour cause de dissensions entre les partenaires. Mais est-ce les Chinois qui nont pu payer leur part, ou est-ce les Pakistanais qui ont voulu se retirer laissant les Chinois dans limpossibilité dassumer la totalité du financement, mystère. Toujours est-il quaujourdhui, voilà un hôtel flambant neuf qui ne sert à rien et va bientôt se dégrader faute dentretien. Nous rentrons donc dans notre chambre où il nous faudra bien passer deux nuits, donc autant en prendre notre parti. Nous commençons, une fois douchés et en pyjama, par tout éteindre puis ouvrir au maximum notre fenêtre maigrichonne et laisser la porte grande ouverte pour tenter de créer un courant dair. Nous avons de la chance, nous sommes à un bout de la coursive et personne ne passe devant notre chambre. De plus nos lits sont dissimulés de lextérieur par une lavancée que forme le bloc salle de bain, et nous pouvons nous y étendre porte ouverte sans heurter les âmes pudibondes qui se hasarderaient dans notre cul-de-sac. La salle de bain nest pas triste ! La douche coule à même le sol, éclaboussant les WC, et noyant le carrelage. Et bien sûr, pas de serpillière, alors si vous ajoutez à cela nos chaussures (sales), vous aurez une idée de la propreté des lieux. Ceci étant, quand on les compare aux hôtels locaux que nous avons eus dans le Guizhou, nous ne nous en tirons pas trop mal. Mais, quand même, létat de la moquette, que nous découvrirons le lendemain au grand jour, abasourdira Christian, pourtant pas bégueule. Cest la première fois que je ne le vois pas marcher pieds nus mais utiliser les tongs de lhôtel !
SAMEDI 12 AOUT KASHGAR
Nuit un peu chaude, mais bonne. Notre petit-déjeuner nous est servi sur la terrasse de lancienne ambassade de Grande-Bretagne, sur une table sortie tout exprès pour nous, les autres clients ( des groupes) devant se contenter des salles intérieures. Nous partons dans Kashgar avec Idil, à travers des rues populeuses encombrées de carrioles à cheval qui tintent de leurs grelots et nous arrivent à toute vitesse dans le dos. " Push, push ... " - hurlent les conducteurs, et nous avons intérêt à nous garer rapidement. Les femmes ouighours sont entièrement recouvertes dun voile épais marron (comment font-elles pour voir à travers ?), et ne le retirent que chez elles. Bien sûr, aucune femme qui se respecte ne travaille à lextérieur, elles effectuent toutes des travaux de broderies ou de tissage à la maison. Le ciel est moutonné de nuages, et la température est idyllique, 30°. Kashgar est une oasis perdue aux confins du désert du Xinjiang et de la chaîne du Karakorum. Elle possède un fascinant mélange de peuples : les Ouighours, qui sont majoritaires (80 %), les Tadjiks, les Kirghiz, les Ouzbeks, et relativement peu de Chinois. Cest une ville active, qui reçoit la visite constante de commerçants du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Pakistan, et même de la Russie. Nous faisons halte au tombeau dAbakh Hoja. Le mausolée, flanqué dune grande porte de mosaïques bleues, est doté, aux quatre coins, de fins minarets zébrés, comme la coupole, de bandes de carreaux bleus et verts. Devant, sétend un jardin de roses odorantes et darbres touffus. À côté, une mosquée fut construite pour le père du roi. Les colonnes de bois de la salle extérieure qui sert à la prière dété sont des merveilles de sculpture. La mosquée dhiver est en travaux, financés par layatollah dIran. Parti au Tibet demander laide du Dalaï Lama contre les envahisseurs, Hoja se convertit au bouddhisme. Le Dalaï Lama appela alors à la rescousse les Moghols, qui écrasèrent les ennemis du roi ... qui se reconvertit à lIslam ! Nous passons dune mosquée à une autre. Mosquée Irislahan, petite mosquée paisible dans un quartier de la ville, grande mosquée Id Kah, où les fidèles arrivés en retard peuvent prier à labri du soleil sous une galerie couverte. Dans les ruelles, les commerces vont bon train. Dentistes, coiffeurs ou tailleurs, des hommes pour soccuper des hommes, et des femmes pour soccuper des femmes. Les bonnets de soie sempilent en tas de couleurs. Les étalages de bijoux abondent, lor étant évidemment plus recherché que largent. Pour son mariage, le marié doit offrir à sa dulcinée un collier, un bracelet et des boucles doreilles, que choisissent ses parents ... sous lil vigilant des parents de la jeune fille. Des petits tabourets placés devant les vitrines permettent à tout ce petit monde de choisir en prenant tout son temps. Les bijoux sont souvent faits sur commande, à partir de catalogues volumineux exposant toutes les formes et tous les prix. Il existe aussi des petites chaînes très fines en or dun prix plus abordable, qui soffrent " en plus ", à diverses occasions. Idil en a offert une hier à sa girl friend. Elle fait ses études de médecine à Urumqi, ne revient à Kashgar que pour les vacances, et devrait ensuite travailler à lhôpital dici. Jachète la dutar de Christian, négociée à six cents francs, housse comprise. Elle comporte deux cordes, est en bois de mûrier incrusté dos et de corne. Une dap, petit tambourin tendu de peau dâne, complète la panoplie de parfait musicien ouzbek de mon sexagénaire (plus une année !). Après le lunch pris à lhôtel sur notre terrasse, nous repartons nous promener dans la ville. Chaque quartier a son imam et sa petite mosquée, ouverte chaque jour pour les cinq prières, excepté le vendredi où tous les fidèles se retrouvent à la grande mosquée. Un gamin fait tourner sa toupie avec son fouet, et Christian me dit avoir vu Papa-Li faire de même. La tenue des femmes est très variée. Robes ou jupes longues, jaquettes noires ou brunâtres, robes à sequins ou dorures, parfois un pantalon sous une robe de mousseline souvent rose (pas beau), un fichu sur la tête noué à larrière pour les plus modernes, ou lépais châle marron rabattu sur la figure pour les plus traditionnelles. Globalement, elles ont mauvais goût, avec un penchant prononcé pour ce qui est voyant : rose vif, fanfreluches, dorures, argentures, voiles transparents, velours frappé, couleurs criardes, bref, ce nest pas la classe. Nous devons sans arrêt nous rabattre sur le côté, " push, push ", pour laisser passer les petites charrettes à ânes qui ont le droit, pendant les deux mois dété, de faire le taxi : les clients sont assis à larrière sur un tapis, jambes pendantes à lextérieur. Un mitron fait cuire ses galettes dans un four rond évasé dans le haut, plaquant ses pains contre la paroi interne du four. Christian photographie un boucher devant son étal, qui lui donne son adresse pour quon lui envoie la photo. Des pigeons picorent sans vergogne les graines exposées dans de gros sacs, devant lépicerie. Nous passons dans la rue des chapeaux, dont des bonnets de fourrure venus de Russie : il fait très froid ici lhiver. Nous rentrons à lhôtel pour une énième douche. Christian pique un petit somme pendant que je fais notre lessive, et à huit heures trente, nous sortons pour aller prendre, au John Café, une nourriture western qui nous reposera des barbecues et des épices. Nous sommes sous une tonnelle et recevons un crayon et une feuille de papier pour noter nos choix. ufs bacon, frites et escalopes de poulet pour moi (horriblement chères, mais que mon trésorier mautorise à prendre, car jétais légèrement dérangée hier). Aux tables voisines, des Français, des Américains, des Allemands, bref, nous sommes entre nous ! Nous rentrons ensuite pour assister au spectacle de danses dans le boui-boui où nous avions dîné la veille. Nous avions déjà constaté que le décor était moche et ringard, et ne nous faisons guère dillusions sur la qualité du programme de ce soir, mais nous avons envie de voir les costumes des minorités du coin, et puis, quoi, nous nallons quand même pas aller nous coucher à dix heures, surtout dans notre bauge ! Le spectacle est désolant. Peu de musiciens, et aucun ne joue de la dutar, les chanteuses sont énormes et fagotées dans des robes roses brodées dor à chier, la présentatrice est boudinée dans une robe de satin rose volantée, les danseurs sont petits, et les danseuses ont des fausses nattes. Ces coquines piquent des fous rires sans arrêt, car leurs compagnons nont pas vraiment répété et loupent leurs pas une fois sur deux. Enfin, pour trente yuans, on ne peut pas avoir le Crazy Horse !
DIMANCHE 13 AOUT KASHGAR / URUMQI
Petit-déjeuner sur notre terrasse de beignets chauds délicieux, tandis que devant nous, sur la pelouse, deux jeunes gens font des exercices détirement puis, à notre intention, une exhibition de karaté. Kashgar est célèbre pour son marché du dimanche, où cent mille personnes se pressent chaque semaine. Nous commençons par le marché aux bestiaux. Les bêtes se bousculent à lentrée du marché (enfin, disons plutôt quelles sont fortement poussées par leurs propriétaires !). Une grosse femme contrôle les arrivées, car il faut payer cinq yuans par tête pour avoir le droit de vendre sa bête sur le marché, sinon, vous pouvez aller faire affaire sur le marché extérieur, gratuit, mais de moindre renommée. Deux énormes taureaux arrivent, regardant majestueusement la foule du haut du tracteur où ils sont juchés. Les moutons sont alignés par rangées, reliés entre eux par une corde passée autour de leur cou, tondus de frais pour que lon puisse constater comme ils sont grassouillets. Les chèvres sont logées à la même enseigne, et lune delles dort paisiblement, inconsciente du sort qui lattend, la tête posée sur la croupe de sa voisine. Le vacarme et la poussière sont effrayants. Un papi, tel Monsieur Seguin, vient vendre sa chèvre quil tient tendrement dans ses bras. Des hommes palabrent assis sur un tapis, un verre de thé devant eux. Les marmites bouillonnent dans les restos de plein air, protégés du soleil par des tentes noires de crasse. " Push, push " ... des groupes dânes arrivent au petit trot. Christian montre à Idil un homme à béret, en tous points semblable aux paysans de chez nous, et lui dit quil va le prendre en photo pour la donner à son père, qui a souvent travaillé avec les éleveurs de bétail. Cela fait rire notre ami. Les marchandages vont bon train : six cents yuans pour deux petits moutons ou un gros, les vaches se négociant entre mille cinq cents et deux mille cinq cents yuans, plus cher si ce sont des vaches laitières. Quand la vente est conclue, un bon shake-hand, et largent change de mains. Des intermédiaires proposent leurs bons offices : sils facilitent une vente, ils touchent une commission de cinq à dix yuans par tête de bétail. Un petit vieux vient se pencher au-dessus de mon cahier. Il est adorable, avec son bonnet de feutrine noire bordée de fourrure, et sa barbiche blanche qui sévase en deux longues pointes sur la poitrine. Proches de ce marché, toute une série de boutiques se sont installées pour la journée. La ruelle des selleries, pour commencer, car ce nest pas tout dacheter une bête, il faut aussi léquiper. Et puis tous les objets dont on peut bien avoir besoin (ou envie) lorsquon a fait une bonne vente. Des chapeaux dabord : bonnets de feutrine blanche aux dessins noirs géométriques, calottes de satin noir ou rouge bordées de renard blanc, brun ou noir, gros bonnets à oreillettes de fourrure, toques dastrakan ou de faux lynx, et même des calottes auxquelles sont cousues de longues tresses noires ! Et pour rester dans les poils, on trouve aussi des pelisses bien chaudes pour des hivers bien froids, des cols de renard, de grands boas de cocotte bleus ou rouges vifs " comme le rouge des forces communistes " plaisante Christian, et Idil de sesclaffer. Un peu plus loin, ce sont les stands des couteaux. Ah ! les couteaux ! Pour un ouighour, un homme sans couteau est un homme sans c... et ne peut trouver femme. La virilité passe par le couteau, qui se porte à la ceinture. Je lorgne la taille dIdil. Il rit : son couteau, car il en a un bien sûr, il le laisse chez lui quand il fait son travail de guide, mais le reprend dès quil est " en civil ". Et Christian de sinterroger : " Un homme avec un grand couteau est-il un grand homme ? " - Les jeunes filles peuvent aussi acheter leur coffre de mariage, toujours de taille imposante, souvent en cuivre martelé bien brillant, dans lequel elles pourront entasser leur dot, deux tapis en général, des nappes, de la vaisselle etc ... Et je passe sur le marché aux vêtements (fripes ou pas fripes), les tissus, les tapis, la vaisselle, les légumes, haricots verts, aubergines violettes, poivrons rouges, carottes jaunes, et les ufs, blancs, rouges, bouillis, mollets ... Pour finir par la viande en tout genre, rats, souris, chiens, chats, les Chinois mangent tout ! Les stands à chaussures non plus ne sont pas tristes ! Cuir ou plastique, fluo ou pas, neuves ou éculées, en quelque sorte ... de seconde main ! Une gamine fouille dans un tas pour trouver des sandales de plastique blanches : elle enfile sans mollir la chaussure sur un pied noir de crasse, prend la seconde, paie, et réalise à temps quelle allait partir avec deux chaussures du même pied. Jenjambe délicatement un tas de vieilles godasses. Mal men prend ! La vendeuse mattrape par le bas de la jupe, et minvective sous prétexte que jai touché sa marchandise. Elle hurle, furieuse et, à coup sûr, magonit dinjures. Et voilà quun homme sen mêle et lengueule à son tour. Je comprends que, pour lui, je nai rien fait et quelle ferait mieux de fermer son caquet. Elle se calme, domptée. Ouf, " merci Monsieur ". Nous nous éclipsons discrètement pour terminer notre visite par le marché aux bois. Il est immense et sent bon la sciure. De gigantesques troncs darbres voisinent avec des stères de planches déjà débitées, des châssis de portes ou de fenêtres, certains bruts, dautres décorés, des balustrades, bref, tout ce quil faut pour se bâtir une maison. Nous retournons à lhôtel pour le lunch. Notre table nous attend. Nous snobons le chili, le tofu, le foie sauté (beurk !), le potage épicé et les tendons de porc. Restent du pain feuilleté délicieux (on en redemande) et des concombres fort bons. Puis une douche, enfin ! Nous sommes dans un état de saleté effarant. Nous décrottons, dépoussiérons et astiquons nos chaussures, et faisons nos valises. Chargés comme des baudets, nous descendons nos trois étages par lescalier en spirale donnant sur le patio. À chaque étage, des fauteuils poussiéreux, qui ninvitent pas au repos, croulent sous les serviettes de toilette des clients précédents, en train de sécher. Nous nous installons dans le hall après avoir laissé nos valises et la dutar à la consigne. Lanimation est grande. Des westerns bavardent, lisent, boivent une bière, passent le temps quoi, comme nous. Des routards entrent et sortent. Christian les trouve plus vieux que de notre temps. Passent aussi des ayatollahs, qui se révèlent être des Pakistanais, mais leurs têtes dintégristes, leurs longues robes blanches, leurs barbes noires très fournies et leurs calottes de dentelle sur le crâne mont trompée. Un jeune Ouighour vient sasseoir à mes côtés. En anglais, il me demande doù je viens. Lui aussi trouve les Français romantiques. Décidément, cette réputation nous colle à la peau ! Mais peut-être disent-ils la même chose aux Allemands qui ont Goethe, ou aux Italiens, qui ont Dante. Il me demande combien coûte le trajet en avion de Kashgar à Urumsqi. Je nen sais rien, cest mon mari qui a pris les billets. - " Ah, cest votre mari ce monsieur ? " - Et ai-je un passeport ? " - Oui. - " Est-il valable pour la Chine seulement ou pour dautres pays ? " - Jélude car je le trouve bien curieux, et fais mine de me plonger dans mon cahier. Mais il insiste le bougre ! - " Vous travaillez ? " - Non. " Ah, vous êtes trop fatiguée ? " - Non, je suis retraitée. Il commence à membêter. " Cest le gouvernement qui paie votre retraite ? " - Non, nous versons des cotisations prélevées sur nos salaires. " Vous avez des enfants ? " - Regards implorants à Christian qui vient charitablement prendre le relais. Nous finissons par comprendre quil est venu dans cet hôtel voir sil ne pouvait pas se faire une gratte en jouant les guides occasionnels auprès des étrangers. Après avoir compris que nous quittions Kashgar ce soir et que nous avions déjà un guide pour nous conduire à laéroport, il sen va sévir ailleurs. Christian le trouve un peu précieux et pense quil était à la recherche, non pas dun client, mais dun partenaire gay. Ce nest pas nous qui aurions pu lui en indiquer un ! Nous quittons le hall pour une terrasse ombragée située en face de lhôtel, où nous accueillent deux confortables fauteuils en rotin (excellent contre la chaleur, bien meilleur que le plastique), et une bière fraîche servie par une soubrette qui passe son temps à faire des niches à sa copine et néanmoins collègue. Ah, la jeunesse ! À la table voisine, un groupe dAllemands bavardent. Lun deux sest déchaussé et exhibe des chaussettes qui furent blanches. Il porte sur la tête un bonnet blanc à oreillettes, doublé de fourrure, sûrement acheté au marché du dimanche. Marrant ! Voilà quarrive ce qui nous paraît être une noce. Deux jeunes femmes sortent dune voiture un coffre de mariage joliment peint et sengouffrent avec dans lentrée du restaurant voisin. Puis les invités débarquent par paquets, en fait, il ny a que des femmes, dun physique plutôt copieux passés trente ans. Les élégantes ont mis leurs vilaines robes de fête, lune est en jupe longue style léopard, chaussures à talons hauts ... et sac de plastique à la main, deux autres portent le lourd et inesthétique voile marron. Je guette la mariée qui, comme dans tous les pays, se fait attendre. Je lespère jolie, avec une robe blanche ... et des fausses nattes, me dit Christian taquin. Un taxi dépose une tonne de larges galettes avec graines de sésame quemmènent les gosses de la noce, endimanchés en nud papillon. Des gens ressortent et sen vont. Nous attendons désespérément la mariée. Christian, parti aux renseignements, revient. Il est tombé sur Idil qui lui a tout expliqué : le mariage a eu lieu hier. Aujourdhui, cest la présentation du coffre de la mariée, garni par la famille et les amis très proches, et par les cotisations des invités. Les invités de la veille, les femmes, viennent voir ce quil contient, admirent (bien sûr), mangent un coup, papotent et repartent. Donc pas de mariée au menu ! À vingt et une heures, nous sommes à laéroport, où notre avion doit partir à minuit quarante. Lenregistrement est difficile, car beaucoup de monde attend : trois avions sont prévus pour Urumqi, le nôtre partant en premier. Grâce à Idil, nous avons des places de part et dautre de lallée, et la dutar est acceptée en cabine. Pendant que notre guide se démène ainsi, je garde la dutar. Une jeune Chinoise me demande, en anglais, quel est cet instrument de musique. Une dutar, et jouvre la housse pour quelle puisse admirer les incrustations dont elle est ornée. Elle me demande combien je lai payée, dit que jai fait une bonne affaire, bientôt relayée par un homme immense et baraqué, Chinois également, qui se met à bavarder avec moi en anglais. Il est guide à Taiwan, et cornaque des touristes taiwanais à travers la Chine. Il en a vingt avec lui, et trouve que cest un chiffre maximum car, dit-il, il faut tout leur dire, tout leur faire, aucune initiative, ils se perdent et il doit leur courir après. Bref, au-delà de vingt pékins (si lon peut dire !), il a mal à la tête. Nous décollons enfin avec une demi-heure de retard, Idil restant dans le hall jusquà ce que nous pénétrions dans lavion, pour être sûr que nous ne restions pas en rade après son départ. Gentille attention. Bien sûr, il a eu droit, en plus de son pourboire, à des dosettes de parfum pour sa girl friend. Nous atterrissons à Urumqi à trois heures du matin. Une petite vieille assise derrière moi dans lavion me montre dun air impérieux ses bagages, situés dans le filet au-dessus delle. Je mexécute, les lui descends, et me retrouve les mains toutes poisseuses. Je me demande ce quelle pouvait bien transporter. Notre petite Kazakhe est là. Elle a autour du cou le collier que je lui ai offert, et quelle aime " beaucoup beaucoup ". La réception des bagages et le trajet dans une ville déserte se font à la vitesse grand V. Lhôtel Hoi Tak est splendide (cinq étoiles). Tout est propre, tout brille, mais nous sommes trop fatigués pour prendre une douche et dailleurs, nous ne sommes pas sales. Nous nous donnons rendez-vous pour demain midi, le temps pour nous de faire une grasse matinée. Nous nous lavons les dents, et dodo dans des draps propres, une chambre fraîche et silencieuse.
LUNDI 14 AOUT URUMQI
Je nai pas entendu la sonnerie, et cest Christian qui me réveille. Je suis encore dans les brumes du sommeil, lembrasse ... et il me dit - " Tu noublies rien, ma chérie ? " - Oh, sorry, bon anniversaire. Le petit-déjeuner est pantagruélique, ufs bacon, ananas frais, jus dorange, yaourts glacés, un délice. Nous retrouvons Gu pour visiter le musée. Ses premiers mots sont pour Christian : - " Happy birthday " - et elle lui remet en cadeau cinq médailles aux effigies des cinq personnages les plus célèbres de la Révolution communiste (mais pas ceux de la bande des Quatre !). Pour moi, bien que ce ne soit pas mon anniversaire, une broche représentant une rose : lumière de la fleur ! Bien quUrumsqi soit peuplé pour 80 % de Han, le musée à visiter est celui des Minorités du Xinjiang. Les treize minorités sont représentées par des mannequins un peu plus grands que la taille humaine normale (Pourquoi ? Mystère), habillés des costumes traditionnels. On se perd un peu entre les nomades et les sédentaires, les Daurs, les Kurdishs, les Tadjiks, les Kazakhs, les Ouighours, les Mongols, et jen passe. Seul point commun, tous sont de religion musulmane. En fait, le musée est plus intéressant pour ses tombes Astana et ses momies datant du IXe siècle avant J.C. Nous déjeunons au restaurant du CITS, Gu prenant son repas avec le chauffeur, un taxi privé que lagence loue pour les périodes de pointe, car elle na pas assez de ses propres voitures pour assurer le convoyage des touristes qui affluent en été. Nous profitons de lheure de la sieste pour admirer la vue que nous avons de notre chambre, au 26è étage. La ville sarrête net sur des collines arides. À deux cent cinquante kilomètres devant nous, la Mongolie, et sur le côté, au-delà dune chaîne de montagnes pelées, les pics enneigés du mont Bogda, qui culmine à 5445 mètres, et doù partent les névés qui iront irriguer Turfan. À nos pieds, un parc avec arbres verts et pelouses itou, et un terrain de sport enserré entre de hauts immeubles. Nous retrouvons Gu à seize heures trente, alors que la chaleur, encore élevée, sest cependant atténuée. Le taxi est superbe, enjolivures dor sur fond de peinture noire, et son conducteur le bichonne amoureusement. Nous nous dirigeons vers la mosquée, ouverte aux fidèles le vendredi seulement, mais à tout moment pour les touristes sur leur demande. Chose étonnante, le rez-de-chaussée est occupé par des boutiques ! Le bedeau nous ouvre la porte, virant pour cela un vieil homme qui dormait comme un ange, allongé sous le porche. Il nous fait comprendre, portant un doigt à sa tempe, que celui-ci est un peu simplet. Cela doit être vrai car je le vois enfiler des bottes ... par-dessus ses chaussures ! Lintérieur de la mosquée est hideux. Le sol est recouvert de tapis criards, les murs, de stucs tapageurs, les lustres et les ventilateurs sur pied sont dune laideur totale. Nous admirons hypocritement. Le bedeau nous explique que la mosquée peut accueillir deux mille personnes, qui se répartissent à lintérieur et à lextérieur. Chaque prière (il y en a cinq dans la journée) dure dix minutes, mais avec les ablutions préliminaires, il faut compter une demi-heure. La medersa dUrumqi, la seule de la région, comprend quatre-vingts étudiants destinés à devenir imams. Le bedeau a lair ravi de nous voir poser plein de questions, et nous demande si nous voulons aller voir la grande salle à létage, où il avait préparé une collation pour un groupe de touristes, qui sont passés en quatrième vitesse et nont rien voulu prendre. Nous avons des scrupules à le décevoir une nouvelle fois et montons. La salle na rien dextraordinaire, mais elle est couverte dun grand tapis sur lequel sont disposées à profusion des assiettes de bananes, melons, pastèques, pêches, et des bouteilles deau. Nous nous déchaussons, nous asseyons sur le tapis, et bien sûr goûtons aux fruits. Nous bavardons. Jai une robe bien longue, et un foulard sur les épaules. Le bedeau me regarde dun air approbateur, et Gu lui indique que, respectueuse des usages des autres religions, jai dissimulé mon (modeste) décolleté sous un fichu. Il me remercie dun sourire. Il faut dire que javais expliqué à notre amie, un peu surprise du nombre de boutons pressions qui fermaient ma robe boutonnée devant, que je les avais rajoutés pour loccasion, trouvant que je découvrais trop mes jambes dans un pays musulman. Elle mavait complimentée pour cette attention. Nous quittons le bedeau avec force remerciements pour son hospitalité, et lui laissons une obole pour lentretien de la mosquée. Nous finissons par le shopping-center, pour trouver un cadeau pour Arnaud, trois bols laqués pour lui, et deux pour nous. Nous comparons les prix des vêtements de luxe, Cardin par exemple, assez chers, mais moins que chez nous. Bien sûr nous bavardons. Je dis à Gu que jai du sang chinois dans les veines. Son histoire ressemble à la mienne, dit-elle, car son père est kazakh, sa grand-mère maternelle est russe, et son grand-père est han. Mais son cur est kazakh ! Vous êtes des melting-pots, remarque Christian, qui ajoute dun air faussement malheureux quil est juste français, son père, sa mère, son grand-père, sa grand-mère ... tous français. Nous discutons du coût de la vie. Les salaires moyens des personnes travaillant dans le secteur privé est bas : cinq cents yuans par mois. Le loyer dune chambre est de trois cents yuans, aussi les gens sont-ils logés dans des appartements appartenant aux sociétés, pour un loyer très modique. Comme professeur danglais, Gu a un traitement de base de quatre cent soixante-dix yuans, quelle porte à sept cents yuans, grâce aux cours supplémentaires quelle donne le soir. Elle na pas de problème car elle loge chez ses parents, qui ne veulent pas quelle participe au loyer. Alors elle se rattrape en leur faisant des cadeaux. En fin de carrière, elle se fera environ huit cents yuans, les professeurs de Pékin finissant à deux mille ou trois mille yuans. Les plus gros revenus sont gagnés par les entrepreneurs ou les hauts cadres des sociétés internationales et des compagnies pétrolières chinoises, et par les docteurs. Et il existe une sorte de RMI versé par lEtat aux gens très pauvres, mais qui leur permet tout juste de se nourrir. De retour à lhôtel, nous nous arrêtons à la réception pour demander si nous avons un message. Le préposé nous envoie au septième étage. Bizarre, mais nous nous exécutons. Nous franchissons une porte vitrée, et demandons à la jeune femme assise derrière son comptoir sil y a un message pour nous. Elle nous regarde dun air complètement ahuri, se lève dun bond et va chercher du renfort. Arrivent un grand gaillard et une femme en blouse blanche. Nous répétons notre question. Éclats de rire général : nous sommes à létage des massages ... un peu spéciaux, et notre arrivée en couple avait de quoi les surprendre. Pas de massages, et pas de messages non plus ! Nous en rions encore dans lascenseur qui nous emporte vers notre chambre, sous les regards étonnés du liftier et dun client. Nous téléphonons aux parents : todo va bene. Rassurés, nous nous plongeons, après une douche ravigotante, dans la lecture des journaux que Gu nous a fait livrer, nous ayant entendus hier regretter labsence de nouvelles internationales. Nous décidons de dîner au restaurant de lhôtel, somptueux, pour fêter lanniversaire de Christian. Mezzanine surplombant le grand hall, pianiste et chanteuse. Cent francs pour lui, mais le repas de laccompagnatrice (moi) est offert. Cest un bon cadeau danniversaire, dit Christian. Alors la " maître " dhôtel se penche vers moi pendant que Christian consulte le menu, et me demande doucement à loreille quels sont ses nom et prénom. Pour plus de sûreté, elle me les fait écrire sur un bout de papier. Mon cher époux na rien remarqué, je ris sous cape car je me doute de ce qui va suivre ! Cela ne loupe pas, et au moment où nous entamons notre dîner, la chanteuse annonce en anglais dans son micro, dirigeant son regard vers lui, quelle va dédier sa chanson à " Christian Martel " dont cest lanniversaire. Et elle entonne " Happy birthday " ! La salle, tournée vers nous, applaudit. Christian se lève et salue courtoisement à la ronde. Nous terminons la soirée au bar, où joffre un alcool à mon amoureux. Les fauteuils sont moelleux, léclairage tamisé, et la musique de " Traviata ", qui passe en sourdine, superbe. Christian zappe un petit coup avant de sendormir : il a tous les droits, cest son anniversaire. Passe un film avec Richard Berry et Miou Miou ... parlant chinois !
Suite du récit: Bishkek et Uzbekistan
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