LA ROUTE DE LA SOIE

27 JUILLET AU 25 AOÛT 2000

1-PEKIN

27 au 30 JUILLET 2000

Récit de MarieOdile Martel

 

JEUDI 27 JUILLET : PARIS / PEKIN

 

J’ai dans mon sac à dos la pharmacie " spéciale-Christian" avec Topalgic et cortisone pour une éventuelle crise de sciatique. Christian a mis dans sa valise sa ceinture à baleines, et pour voyager, il porte son lombostat rigide. Sa rhumato lui a fait trois infiltrations au cours du dernier mois, qui semblent avoir produit leur effet : à la grâce de Dieu !

Nous partons par la Lufthansa qui nous permet, via Francfort, de faire un aller Paris/Pékin et un retour Tashkent/Paris, sans être obligés de revenir vers l’Est à la fin de notre périple en Ouzbékistan pour reprendre notre avion à Pékin. On nous propose, puisque nous sommes en avance, de prendre l’avion précédent pour rester plus longtemps à l’aéroport de Francfort et faire nos achats en détaxe. C’est parfait, je pourrais y prendre mon parfum Guerlain. Christian, ayant informé l’hôtesse de son problème de jambe, se voit installé au premier rang. C’est super.

À Francfort, notre avion pour Pékin est là, sans beaucoup de Chinois. Je ne m’inquiète pas, nous les trouverons à Pékin ! Nous sommes de part et d’autre de l’allée, ce qui nous permet de bouger chaque fois que nous le désirons, et d’étendre au moins une jambe dans l’allée. Le voyage se passe mieux que prévu, mais la nuit est courte ! Nous arrivons à Pékin à huit heures trente, heure locale, mais pour nous, il est deux heures du matin ... et nous démarrons tout de suite notre journée.

 

VENDREDI 28 JUILLET — PEKIN

 

Nous prenons un taxi car nous n’avons pas jugé utile de payer un transfert Voyageurs du Monde. C’est facile, il suffit de prendre un taxi rouge, et de montrer au chauffeur le nom en chinois de l’hôtel Minzu figurant sur notre guide, où notre chambre est retenue. La climatisation du véhicule ne fonctionne pas bien, je suis côté soleil et je cuis. Vingt-cinq kilomètres comme cela, et la circulation n’est pas fluide ! Nous constatons que depuis notre dernier séjour à Pékin, l’espace réservé aux vélos a diminué de moitié au profit des voitures et ici, les avenues font quatre fois la largeur des Champs Elysées. C’est dire le nombre de voitures qui circulent ! Les vélos sont rejetés sur une voie qui longe les trottoirs, et l’on ne voit de cyclo-pousse que dans les quartiers écartés des grands axes. Bien sûr, le chauffeur nous demande d’où l’on vient. " Faguo " dit Christian. - " Lui, Chine, dit-il en riant !   Bejin "  ajoute-t-il. - " Paris " lui répond-on. - " Ah ! Zidane ! "  soupire-t-il. 

L’hôtel Minzu, c’est à dire " l’Hôtel des Minorités " est grand et luxueux, avec plus de Chinois que de touristes occidentaux. Nous avons une chambre très agréable au huitième étage, avec deux lits, la télé, un bar, ô merveille deux peignoirs de bain blancs sous housse de plastique, et, comme toujours en Chine, une bouilloire électrique. Elle nous permet de faire bouillir l’eau que nous utiliserons le lendemain pour nous laver les dents (l’eau minérale est hors de prix dans les hôtels, il faut l’acheter auprès des petits commerçants).

Je lave mon tee-shirt, la chemise et le tricot de peau de Christian, et accroche ma lessive au-dessus de la baignoire sur les cintres en inox très légers que nous avons emmenés avec nous : avec la chaleur qu’il fait dès que la climatisation est coupée, elle sera sèche ce soir.

Après une bonne douche, nous partons, Christian avec sa carte de la ville, son chapeau et son corset, moi avec mon parapluie ombrelle, et dans mon sac à dos, un petit vaporisateur rempli d’eau, bien utile pour nous rafraîchir le visage. Le soleil brille, le ciel est bleu, et il fait une petite température de 36°. Comme nous avons très peu dormi, et que nous sommes quand même un peu fatigués, cette chaleur humide nous accable un tantinet.

Nous marchons sur le trottoir côté ombre, puis prenons le bus n° 10 pour la Cité Interdite.

Nous passons par le jardin Sun Yat Sen. Beaucoup d’arbres (bienvenus) et de Chinois qui se photographient dans tous les coins. Nous prenons à un stand de grillades une saucisse (elle est bonne, j’espère que ce n’est pas du chien) que nous mangeons debout, accompagnée d’une bière, hélas, tiédasse.

C’est moi qui ai choisi de commencer notre visite de la ville par la Cité Interdite, afin de la voir enfin sous le soleil. Le mois d’août est en général pluvieux à Pékin, et qui dit quel temps il fera demain ? La cité est constituée d’une succession de pavillons centraux surélevés flanqués de petits pavillons latéraux, et séparés par de grandes cours ornées de jarres ou de dragons. Elle nous paraît plus grande et plus étendue que la première fois. Et que de Chinois ! Les Chinois en goguette sont toujours très bruyants. Ils crient, rient très fort, s’interpellent. La plupart ont acheté des bouteilles d’eau (on les comprend vu la chaleur qui règne) mais elles sont vendues directement à la sortie du congélateur, et l’eau est un bloc de glace. Alors tous nos Chinois agitent leurs bouteilles ou les tapent contre les balustrades, pour émietter les glaçons. Cela fait un bruit épouvantable ! La plupart des femmes ont, comme moi, leur parapluie ouvert. Je les trouve bien plus olé olé qu’en 1990. Corsages à fines bretelles style nuisettes, jupes ultracourtes ou maxi, mais souvent fendues sur le côté, shorts aussi courts qu’une culotte ... mais la mode veut qu’elles se mettent des mi-bas en nylon beige qui les serrent aux mollets ... affreux ! Le soleil tape. Ma jupe, pourtant longue, laisse apparaître dix centimètres de peau au-dessus de la cheville, et là, ça y est, j’ai pris un coup de soleil qui s’est transformé en érythème, c’est rouge grenat, ça brûle et ça démange ... affreux !

Nous revenons à l’hôtel par la rue Wang Fu Jing, une grande rue commerçante. Dans un magasin de tissu style " Aux Dames de France ", nous achetons de la soie pour Mamie et un peignoir de soie vert foncé brodé au dos d’un magnifique dragon pour Cécile. Nous nous octroyons une pause sur une place débordante de tables et de fauteuils de plastique. Des stands débitent leurs boissons. Après bien des recherches, nous finissons par en trouver un qui a stocké des bières dans son frigo et pouvons enfin goûter au plaisir d’une bière fraîche : les Chinois boivent leur eau congelée mais aiment leur bière tiède ! En face, devant les grands magasins, des gens s’affairent à installer des estrades et des sonos, et à procéder à des effets de son sur des chansons genre " gay pride " très syncopées, hurlées par des haut-parleurs gigantesques.

Douche et repos dans notre chambre, enveloppés dans nos peignoirs. Je veux commencer mon journal, mais mes petits yeux ont du mal à rester ouverts. À six heures, nous partons dîner dans les environs. Trois restaurants de bon niveau se suivent : une churrasquaria, mais l’ambiance ne nous plait pas, un restaurant où une jeune femme fait la réclame devant la porte, sa robe blanche moulante fendue haut sur la cuisse, mais la salle est presque vide, et un dernier, agrémenté de la même hôtesse, mais vêtue de soie rouge et or cette fois. Nous optons pour celui-ci. Christian va choisir des crevettes et un poisson qui frétille dans l’aquarium (garantie de fraîcheur), et du canard, pas vraiment laqué, et tout en os. La bête est bonne, mais la chair rare. Le poisson par contre est copieux et accompagné d’une sauce délicieuse ... mais la pêche nous double le prix du repas ! Trois cents francs à deux, dont cent cinquante de poisson. À éviter.

 

SAMEDI 29 JUILLET — PEKIN

 

Réveil à huit heures. Le garçon sonne à la porte pour faire la chambre. Un moment please, qu’on finisse de s’habiller. Nous sortons en posant sur nos lits un carton vert : il indique que nous sommes d’accord pour qu’on retape nos lits sans changer nos draps, afin d’économiser l’eau. Idem pour le linge de toilette : si nous mettons nos serviettes par terre, nous voulons un change, si nous les laissons sur les porte-serviettes, nous les réutilisons. Nous les flanquons allègrement par terre, car à se doucher à chaque passage à la chambre, le linge n’est plus très frais le soir ! Petit-déjeuner continental extra, comme je les aime : œufs bacon, toasts, ananas frais, yaourts etc ... À notre retour à la chambre, re-sonnette. C’est encore le garçon qui veut s’assurer que nous avons bien compris ce que nous faisions en posant notre carton vert, et qui nous montre qu’il a juste retendu les draps, sans les changer. Oui oui, nous sommes OK (c’est tout juste si nous ne nous excusons pas d’accepter de dormir dans des draps de la veille !). Mais demain, pas de carton, et des draps propres, car je crois que notre image de marque en a pris un coup.

Nous prenons le métro comme de vrais Pékinois. Il est vrai qu’il est simple : une ligne Est-ouest et une ligne périphérique. Les stations sont indiquées en transcription pinyin, et les annonces faites en chinois et en anglais. Il est moderne, les quais sont vastes et le pavage, d’une propreté totale. À noter à ce sujet un immense progrès à Pékin : il est dorénavant interdit de cracher par terre dans les lieux publics, y compris le métro et les bus (et bien sûr les restaurants). Dans le métro et dans les rues, nous voyons sans cesse des escouades de balayeuses qui s’affairent. J’ai remarqué que, maintenant, les gens se déplacent pour aller jeter dans les poubelles papiers gras et canettes. Et les WC publics sont corrects ! D’accord il n’y a pas de distributeur de PQ, mais les toilettes sont propres, les sols aussi, et les chasses d’eau fonctionnent. Plus de mouches ni d’odeurs pestilentielles. Progrès encore plus appréciable, la plupart des WC publics ont des portes qui les isolent les uns des autres. Ou alors, les deux systèmes co-habitent : d’un côté, des WC à l’occidentale, de l’autre, les WC à la turc alignés les uns à côté des autres, sans séparation. Et bien, dans ce cas, et même si des cabines fermées sont libres, les Chinoises préfèrent s’accroupir ensemble et bavasser en montrant leurs fesses ! Toutes ces considérations ne valent, bien sûr, que pour Pékin, car j’aurai l’occasion de constater que, dans les campagnes ou les petites villes, les choses n’ont pas changé. Ce qui veut dire qu’une femme comme moi qui voyage en Chine a intérêt à ne pas porter de pantalons trop longs, car il faut alors les retrousser pour aller aux toilettes ... ni trop courts, car sinon, gare aux coups de soleil sur les mollets.

Nous gagnons à pied le Temple taoïste des Nuages Blancs. L’organisation en est classique : des pavillons centraux alternant avec de vastes cours ombragées et, sur les côtés, les cellules des moines. Les travaux de réfection vont bon train : chambres des moines, chapelles etc ... la poussière qu’ils engendrent accentue encore l’impression de chaleur et de moiteur. Devant chacun des pavillons, bien dans l’axe, des petits autels attirent les fidèles qui s’agenouillent, s’inclinent profondément à plusieurs reprises, mains jointes et baguettes à hauteur du front, et y déposent leurs baguettes d’encens après la prière. Je souris car, devant l’un de ces autels, a été posée, pour le confort des fidèles, une vieille banquette en skaï à moitié défoncée, d’où s’échappent des poignées de crin. Une femme y fait ses dévotions. À ses côtés, une gamine d’une huitaine d’années s’applique à bien faire les mêmes gestes que sa maman. Elle porte la robe chinoise traditionnelle de soie rouge brodée d’or, moulante, à col Mao et fente sur le côté. C’est joli comme tout et, ça y est, nous avons trouvé ce que nous rapporterons à Lulu ! Le samedi, l’activité des temples est au maximum, et les fidèles sont nombreux. Ce temple a l’air riche (à voir tous les travaux en cours) et peuplé. Des prêtres vont d’un pavillon à l’autre, vêtus de blanc, pantalons bouffants, guêtres blanches, et chaussons noirs à bride. Sur le sommet du crâne, un petit chignon rond.

Un taxi nous dépose rue Liu Li Jang (la rue des Arts et des Lettres), le quartier des antiquaires. Le quartier n’a pas bougé depuis notre premier voyage, car les maisons anciennes sont classées et échappent ainsi aux appétits des promoteurs immobiliers. Mais tout y est cher et pas très intéressant. Tout autour des ruelles marchandes, un quartier populaire subsiste encore, petites maisons anciennes et pauvres, aux minuscules courettes.

Toujours flânant, nous débouchons sur le quartier Qian Men, très commerçant, où grouillent les petites boutiques. Nous y trouvons un éventail pour moi, souverain contre la chaleur (j’en ai déjà cinq à la maison, rapportés de nos divers voyages en Asie, mais immanquablement je les oublie et suis obligée d’en racheter un sur place !), la robe que nous destinons à Lulu, et un cerf-volant pour Nicolas qu’Arnaud se fera un plaisir de monter !

Nous déjeunons dans un restaurant populaire très sympathique ... et climatisé, ce qui ne gâte rien. Le samedi, c’est la fête, les gens sortent en famille, et les tables sont chèrement disputées ! Autour de nous, rien que des Chinois. Ils mangent encore un peu salement, beaucoup avec les doigts, mais comme je l’ai dit, ils ne crachent plus par terre et ne jettent plus sur le sol bouts d’os ou canettes de bières vides. Une grande vitre sépare la salle de la cuisine, où les cuisiniers, tablier blanc et toque sur la tête, s’affairent à préparer les canards laqués, spécialités de la maison. À gauche, la chaîne qui convoie les canards tout blancs, émergeant d’un bain d’eau bouillante où ils ont perdu leurs plumes. Ils sont alors expertement badigeonnés de sauce caramélisée et partent au four. À droite, la chaîne qui revient de la rôtissoire, où pendent les canards laqués et bons à être mangés. Il doit faire une chaleur d’enfer dans cette cuisine, car les malheureux cuistots ruissellent et n’arrêtent pas de boire des litres de thé. J’ai pitié d’eux. Bien sûr, nous prenons deux parts de canard laqué, déjà préparé en petits morceaux (c’est plus facile à manger avec les baguettes). Un peu gras, mais bien bon quand même.

Nous nous offrons le luxe (vingt francs par personne !) d’un café au Collège du café dont les fenêtres du premier étage donnent sur la place Tien An Men. Confort assuré grâce à une climatisation reposante, et mauvais goût garanti dans un décor de balancelles surchargées de feuilles de vigne plastifiées.

Nous prenons un taxi pour gagner le parc Beihai, paradis de verdure au cœur de Pékin. La foule est dense et le soleil accablant. Une multitude de petits stands vendent bijoux de pacotille, nourriture et, bien sûr, les inévitables bouteilles d’eau congelée. D’autres proposent de photographier les promeneurs en costume d’impératrice ou de mandarin, sur un lit doré ou un trône flamboyant. Christian veut prendre la scène. Refus péremptoire de la marchande : elle seule a le monopole des photos ... qu’elle monnaie un bon prix. Sur le lac, les pédalos à tête de canard vont bon train. Les manèges sont pris d’assaut et dans les balançoires des grands doubles huit, les jeunes filles hurlent de frayeur et de plaisir. Des groupes d’enfants des écoles participent à la fête, et j’admire leur costume : chemisette blanche au col Claudine gansé de marine, et jupe ou bermuda marine gansé de blanc. Ils nous font " Hello ", nous de même. Tout le monde est gai, bien habillé. C’est agréable. Du haut du Dagoba Blanc situé au sommet de l’île, où nous montons courageusement, nous apprécions la vue des toits dorés de la Cité Interdite et les grattes ciel de Pékin que la mode chinoise a surmonté de toits à pagodons totalement incongrus.

Nous rejoignons à pied le palais du prince Gong, demeure fastueuse comme il en existait beaucoup dans la Chine des dynasties Yuan, Qing et Ming. Dans un parc vallonné se succèdent dans un désordre plein de poésie des pavillons entourés de vérandas et communiquant entre eux par des chemins de bois couverts et des patios garnis de plantes en pot, d’arbustes et de bambous. C’est magnifique. Les riches de cette époque avaient du goût !

Nous nous cassons le nez sur le temple des Lamas, où nous arrivons à seize heures trente, heure de la fermeture (dix sept heures trente indique notre guide !). Métro et pause à l’hôtel. Je tartine de biafine mes horribles érythèmes des chevilles.

Nous décidons de dîner à nouveau dans le coin et allons voir ce que vaut la churrasquaria. Il nous faut faire venir trois personnes différentes avant de parvenir à connaître le prix du buffet. Cent soixante dix francs par personne, boisson non comprise. Ouïe, c’est cher ! Et puis le décor ne m’inspire pas, et le buffet des entrées est à base de crudités, à éviter dans ces pays. Nous déclinons, partons, et nous décidons pour le restaurant de l’hôtesse en robe blanche, histoire de changer un peu. La climatisation est branchée à mort. Instinctivement, je frissonne et enroule mon écharpe autour du cou. La serveuse va immédiatement la baisser, et je la remercie de sa gentille attention. Porc laqué au miel pour moi (un peu gras mais bon) et porc braisé aux pousses de bambou pour Christian, moins bon, aussi se partage-t-on mon porc, très copieux. Ajoutez à cela des concombres à l’ail délicieux et un poisson grillé excellent, malheureusement tout petit, et nous aurons fait un repas agréable.

Nous décidons de retourner par le métro sur la rue commerçante de Wang Fu Jing voir ce qu’ont donné les préparatifs de la fête entr’aperçus hier. Nous émergeons du métro, portés par la foule en goguette qui se dirige comme nous vers la rue devenue piétonnière pour la circonstance. C’est ahurissant ! Sonos Rap et Gay Pride voisinent avec des orchestres classiques, violons ou pianos, qui ont bien du mal à se faire entendre, mais attirent quand même leurs lots de spectateurs. Les terrasses sont pleines. La bière coule à flots. Nous nous asseyons sur les marches d’un grand magasin pour boire notre bière et regarder les gens qui passent. La foule se presse. Jeunes femmes en shorts et talons compensés de vingt centimètres de haut, petite famille avec parents, enfants et grands parents ... nous repérons même un jeune à la crête-de-coq peinte en jaune. Trois jeunes filles nous interpellent, et nous avons droit à l’inévitable - " Where are you from ?" - De France . Ce qui nous vaut un - " Bonsoir, comment allez-vous "  dit en français, avant que la conversion ne continue en anglais, langue dans laquelle nos jeunes amies semblent être plus à l’aise. Elles étudient le dessin à l’université des Beaux-Arts, et s’extasient lorsque Christian leur dit qu’il est architecte. Elles nous proposent de venir voir demain leurs œuvres, mais, sorry, nous ne pouvons pas.

Nous jouons des coudes pour regagner le métro, bondé. Des femmes sont préposées à la circulation. Elles attendent l’arrivée du train tournées vers le tunnel, bras le long du corps, et au moment où la micheline entre dans la station, elles pivotent d’un demi-tour, toujours bras bien raides le long du corps, pour se trouver face à la rame et contrôler les mouvements des voyageurs. Amusant.

 

DIMANCHE 30 JUILLET — PEKIN

 

Bon dodo. Ciel bleu intense. 32°. Nous prenons d’abord le métro pour nous rapprocher de notre destination, puis un taxi qui nous emmène à nos lieux de visite par le périphérique, bordé d’immeubles styles HLM tous semblables, groupés par paquets : un paquet aux façades roses et petites fenêtres, un paquet aux façades bleues et balcons, et ainsi de suite.

Nous voici rendus au Temple du Ciel. Christian va chercher les billets d’entrée, vraiment pas chers. Nous traversons une immense esplanade encombrée de voitures, et butons sur une seconde entrée, où nous nous faisons retoquer. Nos billets ne donnent droit qu’à l’accès au parking (... pour une voiture inexistante !), et il nous faut re-payer !

Le temple du Ciel est vraiment une merveille. Tout a une signification : le cercle représente le ciel, et le carré, la terre. Les édifices s’emboîtent ainsi les uns dans les autres dans une savante harmonie. Cours carrées bordées de murs aux toits vernissés, temples ronds surmontés de toitures concentriques, escaliers de marbre aux quatre coins de l’horizon, et la merveille des merveilles, le temple de la Prière pour la Bonne Moisson : quatre piliers centraux pour les quatre saisons, une première couronne de douze piliers pour les douze mois de l’année, une seconde de douze piliers pour les heures du jour. Et que dire des couleurs ! Elles s’opposent et se répondent, le crépi rouge des murs d’une cour renvoyant au bleu électrique des tuiles vernissées d’un triple toit, le pastel vert tendre d’une paroi prolongeant le vert et le jaune palis d’une structure de bois. Les fidèles agitent leurs baguettes d’encens, à genoux en plein soleil sur les dalles brûlantes. D’autres passent, rigolards et bruyants. D’autres mangent, ou boivent. Chacun recherche l’ombre et les courants d’air.

Un groupe de gamines d’une dizaine d’années s’approche de nous. L’une d’elles montre à Christian son appareil photo et fait comprendre qu’elle voudrait prendre une photo de mon bel homme coiffé de son panama à la Indiana John. Christian, flatté, obtempère et pose, entouré d’une nuée d’admiratrices. À trois reprises, nous distinguons dans la foule des couples de touristes occidentaux portant des bébés en bas âge aux traits asiatiques : des parents adoptifs effectuant un pèlerinage aux sources.

Nous sortons par la porte Nord et le parc ombragé. Un taxi puis le métro nous conduisent au Temple des Lamas, où nous nous étions cassé le nez hier. Il n’est pas mal, mais il y a mieux. Il abrite une communauté de la doctrine réformée des Bonnets Jaunes, ou Gelupa. La fumée des baguettes d’encens plane au-dessus des petits autels. Nous repérons au milieu des fidèles deux Français en tenue de mimile, short et gilet de peau rouge vif largement échancré. Ils doivent avoir notre âge, et sont accompagnés de deux jeunes Chinoises, robe moulante et maquillage un rien voyant. Les couples se tiennent par la main, et se photographient mutuellement, tendrement enlacés. Eux vieux, elles jeunes, visiblement deux hommes en voyage d’affaires cornaqués par des girls. Leur tenue me choque.

Un restaurant nous tend les bras à la sortie. Les tables sont toutes occupées mais à l’une d’elles, deux jeunes sont en train de payer. La serveuse les vire à grande vitesse, nous nettoie la table et prend notre commande. Notre porc en beignets, sucré et caramélisé à souhait, est délicieux, mais nos légumes immangeables tant ils sont épicés ! Comparés à nos voisins, nous sommes très frugaux. Les Chinois en effet commandent toujours énormément de plats différents, un vrai festin. Mais ils en laissent aussi toujours la moitié, gâchis compensé par la pratique, ici comme aux Etats-unis, du doggy bag, qui vous permet d’emmener chez vous ce qui reste dans vos plats. Je repère près de notre table un lavabo avec savon et séchoir à mains électrique, le luxe. Mais le tuyau du lavabo débouche sur un seau, qu’il faut vider parfois. Justement il est plein, et deux soubrettes l’emportent alors qu’arrive une cliente qui n’a rien vu, se lave les mains ... et s’en prend plein les pieds ! Nous faisons "Pouf pouf" dans nos serviettes en papier.

Nous reprenons le métro puis un bus infâme, dont les vitesses grincent à vous écorcher les oreilles. Christian est assis devant, quasiment sur le chauffeur, moi devant la porte laissée ouverte par le préposé qui s’accroche au chambranle, à moitié hors du bus, et hurle le nom des stations à chaque arrêt. Poussière et chaleur. Il nous faut trois quarts d’heure de ce voyage infernal pour parvenir au Palais d’Eté, où notre véhicule nous crache sur un parking encombré de bus attendant que leurs cargaisons de touristes aient fini leur visite. Nous les contournons un à un, dans une chaleur épouvantable, encore aggravée par l’air brûlant que dégagent tous ces bus qui tournent au ralenti, pour permettre aux chauffeurs de jouir de la climatisation. La foule est démente ! Un grand lac entoure tout le palais, construit sur une hauteur ponctuée de pagodons. Nous y grimpons par des escaliers symétriques. Il faut jouer des coudes car tout le monde emprunte l’escalier côté ombre. Nous faisons des pauses pour reprendre notre souffle, abrités du soleil par de grands arbres. La vue qui nous attend au sommet est superbe et nous récompense de nos efforts. En 1990, nous avions vu le Palais d’Eté en hiver, ce qui est une ineptie, car n’est-ce pas, un palais d’été doit se voir en été. Les pièces d’eau n’avaient alors pas d’eau, aujourd’hui, nous y voyons des fleurs de lotus admirables. Il n’y avait pas de bateaux sur le lac, pas de feuilles aux arbres, pas de touristes, pas de soleil.

Puis nous redescendons sur le lac. Chinois et Occidentaux mélangés font la queue pour prendre des péniches collectives à fond plat qui leur feront faire le tour du lac. Ornées de têtes de dragons hideuses, elles sont pourvues de sièges coques en plastique bleu vif qui doivent cuire les fesses car le soleil tape dur. Bonne promenade ! Les familles déambulent avec mamies et enfants. Souvent d’ailleurs avec deux enfants : les Chinois de Pékin sont riches et peuvent faire un deuxième enfant, malgré les frais (car avec la venue du deuxième enfant, plus d’école publique, de soins gratuits, il faut payer !). Nous repartons par une allée recouverte que longent une balustrade et des bancs de bois laqués de rouge sombre. Pas un banc n’est libre. Partout des gens qui bavardent, somnolent, mangent. Les femmes de ménage s’affairent à ramasser bouteilles vides et papiers gras. Christian endure vaillamment sa coque, qu’il troque le soir pour son lombostat, moins chaud et moins rigide. Sur le chemin du retour, j’avise un écriteau m’indiquant les toilettes. J’y vais, c’est propre car il faut payer. En sortant, avec le sens de l’orientation qui me caractérise, je prends à gauche au lieu de prendre à droite, et débouche sur deux allées, l’une qui mène au lac, d’où nous venons, l’autre qui part vers les collines. Je ne m’y retrouve pas du tout, et ne vois pas Christian qui avait pourtant dit qu’il m’attendait à la sortie. Je fais dix fois la navette entre les toilettes et l’embranchement des allées, n’osant aller plus loin de peur de me perdre et finis par réaliser que les toilettes ont deux sorties, et que je n’ai pas pris la bonne. Ouf, j’ai eu chaud !

Nous dînons le soir à l’hôtel, au restaurant Turquish, de brochettes de mouton. Le décor est affreux, plus " chalet suisse " que turc. Les soubrettes ont le fou rire, sans que nous comprenions bien pourquoi. Les brochettes sont bonnes. Christian commande une pâtisserie orientale. Je goûte, c’est bon, je commande la même. Puis petit tour aux boutiques de l’hôtel, où Christian m’offre un marque-page. La préposée nous montre un énorme poisson de plastique vert collé sur une plaque de bois. Lorsqu’on appuie sur le bouton, sa queue, puis sa tête se relèvent, et sa bouche s’ouvre tout grand. Hideux ! Deux Américaines nous disent (en français) qu’elles ont les mêmes monstruosités chez elles. Devant la salle de karaoké, les hôtesses attendent les clients.

 

Suite du récit: Lanzhou-petit Tibet

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